Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/26

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d’évoquer, c’est que, comme l’a bien vu le Dr Demerliac, l’audition colorée, que tant de poètes ont possédée, ou cru posséder, se manifeste dans ses œuvres, dans ses lettres, dans son journal, avec un tel naturel, avec une telle vérité d’images et d’expressions, qu’on est tenté d’y voir bien plutôt une forme de son imagination, qu’un artifice ou une coquetterie de littérature.

À vrai dire, les phénomènes qu’il éprouvait ne relèvent point de l’audition colorée proprement dite, mais d’une fusion d’images gustatives, auditives, olfactives, visuelles, comme il pouvait seulement s’en produire chez cet homme de génie, qui était à la fois un musicien, un peintre et un poète.

« Ce n’est point une vaine image, une allégorie, reconnaît-il lui-même, à laquelle recourt le musicien qui prétend que les couleurs, les parfums, les sons lui apparaissent de même essence et se combinent pour lui en un merveilleux concert. »

Quant à lui, il passait insensiblement d’une sensation à une autre d’un ordre tout différent, quand il ne lui arrivait pas de les confondre, sans parvenir à fixer une ligne précise de démarcation. Cette unique citation — et de pareilles pourraient être multipliées — suffit comme attestation d’un état aussi exceptionnel : Kreisler (c’est lui qu’il désigne sous ce nom) se propose d’acheter « un habit dont la couleur est en ut dièze mineur : ce [pour] quoi,