VINGT JOURS EN ESPAGNE
I
LA BIDASSOA, FONTARABIE, SAINT-SÉBASTIEN
J’arrive d’Espagne : on n’y assassine que rarement les littérateurs français, Dieu merci ! et me voici de retour sans malencontre et même fort bien en point.
On parle beaucoup de l’Espagne et on y va peu. C’est si facile et si vite fait d’aller en Italie, par exemple ! On est sûr d’y trouver le souper et le gîte, un beau ciel et des chefs-d’œuvre… Tandis qu’en Espagne ! D’abord il y faut du temps et de la fatigue : du temps ? on n’en a guère ; de la fatigue ? on la craint fort. Et puis, qui sait comment on voyage en ce pays-là ; comment on y mange, puisque la cuisine, dit-on, y est exécrable ; comment on y dort, puisque les lits, selon les auteurs, grouillent de parasites ?… Brr…
Certes, il y a toujours, selon les auteurs, les senoras en mantille, les sérénades, les balcons, les échelles de soie… Quoi encore ? Toutes les féeries à l’aide desquelles les poètes ont créé l’Espagne de fantaisie qui hante nos imaginations. Aussi se promet-on toujours de voir l’Espagne… et remet-on toujours le voyage.
Et de fait c’est bien un peu rude et difficile. Cependant, en vingt jours, j’ai vu Burgos et Madrid, l’Escurial et Tolède, Séville, Grenade et Cordoue, c’est-à-dire tout le centre de la péninsule Ibérique, des Pyrénées et du golfe de Gascogne à la Sierra Nevada et aux approches du détroit de Gibraltar, en traversant le Guipuzcoa, la Vieille et la Nouvelle Castille, la Manche et l’Andalousie.