Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

DISCOURS DE M. ABEL HERMANT

Messieurs,

Au bord de cette glorieuse tombe, devant laquelle même les inimitiés littéraires ne se sont pas tues, je voudrais de tout mon cœur, comme on veut ce qu’on doit, rendre à Émile Zola un hommage digne de lui. Hélas ! dans ces épreuves, ceux qui dénigrent ont vraiment tous les avantages sur ceux qui louent et qui pleurent. Notre douleur étonne notre enthousiasme. Notre admiration s’impatiente et se décourage, à sentir qu’elle ne dispose, pour s’exprimer dans toute son ampleur, que des paroles sommaires et improvisées qui sont de mise sur un cercueil ; c’est une poignante souffrance de plus, cette insuffisance de l’éloge funèbre au prix d’un mort si formidable.

Discuté jusque dans sa bière — et nous devons l’en applaudir, car certes cet amoureux de la lutte eût souhaité qu’il en fût ainsi — on lui a tout contesté, sauf d’être excessif et colossal ; là-dessus ses détracteurs s’accordent avec ses panégyristes. Ses livres, avant que d’aveugler l’imagination par leur splendeur, lui imposent par leur nombre et par leur poids. Si on les plaçait les uns sur les autres, ils feraient un piédestal assez haut pour la statue que nous lui élèverons. Il se présente au tribunal de la postérité escorté comme un patricien romain d’une clientèle qui est une armée, où je dénombre plus de douze cents créatures vivantes qu’il a façonnées de sa main et animées de son souffle. Pour que nul surcroît d’effort ne lui fût épargné, il a enfanté d’abord, longtemps, dans la misère. Ses premiers livres sont nés, comme des fils du peuple, dans des garnis et sur des grabats. L’angoisse du pain qui manque s’est ajoutée pour lui à l’angoisse du génie qui se cherche. Mais le mauvais sort, en s’acharnant à gêner son énergie, n’a fait que la multiplier. Il en avait accumulé au