Page:Cahiers de la Quinzaine - 8e série, numéros 1 à 3, 1906.djvu/249

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instantanée ; artistes et savants, toujours ensemble, descendent la facilité du fleuve ; et leur tournant le dos, les solitaires philosophes entreprennent de remonter.

Peu d’hommes, et ceux-là devons-nous les nommer des hommes seulement, peu d’hommes circulent par dessus ce point de discernement. Par dessus ce point de rupture et d’opposition contrariée. Peu d’hommes vont et viennent à leur volonté par-dessus ce point. Peu d’hommes à leur volonté montent et descendent. Mais les uns vont. Et les autres viennent. Les uns montent. Et ce sont les autres qui descendent. Et les véritablement très grands hommes ne sont peut-être que les très rares génies qui ont eu le don d’aller et de venir comme des dieux par-dessus ce point de rupture humaine, d’aller et de venir en leur entière liberté par-dessus ce point de fatale diversion, en leur entière unité par-dessus ce point de démembrement, d’une marche continue par-dessus ce point de capitale discontinuité. Ainsi Michelet.

Les autres prennent les occupations ; les philosophes se réservent, dans toute la force étymologique du mot, les préoccupations. Un homme comme Michelet cumule dans un courant et dans un tourbillonnement de vie d’une puissance insurmontable les occupations et la préoccupation.

Le jour que l’on voudra bien se demander un peu profondément ce qui fait un de ces hommes essentiels, un peintre essentiel comme Rembrandt, un musicien essentiel comme Beethoven, un tragique essentiel comme Corneille, un penseur essentiel comme Pascal, et je m’ar-