Page:Cahiers de la Quinzaine - 8e série, numéros 1 à 3, 1906.djvu/250

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rête à ces quelques exemples pour ne point avoir à citer un trop grand nombre de nos Français, le jour que l’on voudra bien se demander un peu profondément ce qui fait ces œuvres essentielles, les pèlerins d’Emmaüs, la neuvième, Polyeucte, les Pensées, on reconnaîtra peut-être que c’est en particulier ceci que pour de tels hommes et pour de telles œuvres ce point de disloquement cesse de fonctionner, ce point de dislocation que nous reconnaissons au contraire comme valable et capital, comme donné, comme irrévocablement acquis pour les autres hommes, pour l’immense commun des hommes et des auteurs, pour la plèbe immense des œuvres de talent. Ou plutôt des ouvrages, car il vaut mieux réserver le nom d’œuvres aux œuvres du génie. Ainsi se vérifierait une fois de plus, et très exactement, sur ce point particulier, ce fait général, et j’irai jusqu’à dire cette loi, au seul sens que nous puissions reconnaître à ce mot, que le génie n’est point du talent porté à un très haut degré, ni même du talent porté au plus haut degré, ni même à sa limite, mais qu’il est d’un autre ordre que le talent.

Un homme comme Michelet est un historien essentiel au même titre et dans le même sens que Rembrandt est un peintre et Pascal un penseur, aussi indéplaçable, et une œuvre comme ses Histoires est faite comme la neuvième et comme Polyeucte, aussi indestructible, aussi indiscutable ; c’est fait de la même sorte, et les reproches que l’on entend faire à Michelet, comme à Corneille, comme à Pascal, sont très précisément de ceux que ferait à Beethoven quelqu’un qui ne serait pas musicien, à Rembrandt quelqu’un qui ne serait pas peintre.