Page:Cahiers de la Quinzaine - 8e série, numéros 1 à 3, 1906.djvu/275

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rable, l’incalculable plèbe de tous ceux qui ne seront jamais ni amis ni ennemis, des morts indifférents. Et il y avait aussi ceux qui étaient ennemis d’avant, d’avance, avant tout commencement de vie, avant toute explication, pour ainsi dire par définition et tradition, avant toute entrée en matière de jeunesse même.

Les anciennes censures, l’ostracisme grec, l’exil ancien, l’extermination de la cité, la mise au ban, les pénalités médiévales, féodales, royales, ecclésiastiques, l’excommunication, l’index étaient ou comportaient des sanctions redoutables. Souvent mortelles. Souvent elles étaient capitales. Elles atteignaient peut-être moins sûrement leur effet, sinon leur objet, elles atteignaient beaucoup moins gravement et moins définitivement les libertés intellectuelles que ne les atteint le savant boycottage organisé dans le monde moderne par le monde moderne contre tout ce qui toucherait à la domination du moderne. C’est une des raisons pour lesquelles, et cela sans aucun doute, les activités intellectuelles sont moins nombreuses dans le monde moderne qu’elles ne l’ont jamais été, dans aucun monde, moins considérables, moins libres surtout, moins fraîches, moins neuves, moins jaillissantes. Beaucoup moins que dans aucun monde connu. Il faut aux œuvres, à presque toutes les œuvres, et à presque tous les auteurs, sinon un accueil enthousiaste, à défaut même de la simple bonté, à défaut d’un accueil simplement bienveillant, au moins un combat, une bataille, la guerre, le débat, tout plutôt qu’un de ces silences comme le monde moderne seul a su en organiser autour des œuvres et des hommes qui auraient seulement l’air de faire semblant d’être capables d’être suspects de vouloir seule-