Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/27

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fonde de la famille, où le lien religieux fait un nœud si solide à tous les autres. Il est sensible à l’excès. Sombre et tendre, pensif et violent, d’humeur parfois exubérante, le plus souvent taciturne, en tout il est extrême. Comme tous ceux qui sentent avec passion, il se donne peu et se concentre en lui-même, incapable de se prêter et ne pouvant se donner que totalement. Affamé d’affection, il ne se lie pourtant pas. D’ailleurs, il semble avoir toujours été d’une santé chétive. Sinon malades, ils sont tous de corps inquiet, dans la famille.

Il ne nie pas qu’il n’ait eu un amour-propre sans limites. Son caractère maladif, sa complexion chagrine ne lui permettent pas de se plaire en société. Cependant, il aspire à l’amitié, en tous temps et de toutes ses forces.

Il n’a jamais été de loisir. Les peines moindres ne le quittent que pour faire place aux plus grandes douleurs. La maladie le hante sans relâche ; elle est toujours sur ses talons. Quand lui-même n’est pas malade, la maladie est encore dans la maison : elle lui tient sa mère, ou son frère, et plus tard sa femme. Avec les ans, ses soucis n’ont pas cessé de croître.

Dostoïevski est malheureux dans toutes ses affections. Je m’étonne de lui trouver moins d’orgueil que d’amour-propre. Tout l’orgueil est pour sa nation. Quant à l’amour-propre, il n’est point en lui de vanité, ni le signe qu’il se préfère à autrui ; mais, comme il ne connaît point le contentement de soi, il craint le jugement des autres : il redoute en eux la fausse note ; il pressent l’erreur à son endroit ; il devance l’injustice qui l’afflige. Sa défiance est toujours dans l’ordre du sentiment : enfin, il veut qu’on l’aime ! Le risque de