Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaudement. Une pitié ardente était la flamme de la maison. Le père, grand lecteur des Écritures ; la mère, humble et maladive, toujours prête à l’oraison : tous les deux, d’une foi que ne trouble aucun soupçon de doute. C’est l’antique esprit de la plaine, entre Europe et Asie, les mœurs anciennes, la simplicité familière et la douceur d’Orient, avec la règle scrupuleuse des chrétiens. L’austérité n’a rien, ici, de la roideur propre aux puritains d’Angleterre ou aux piétistes du Nord. Ils sont moins durs, ces vieux Russes, qu’ils ne sont résignés. De violents éclats traversent leur silence. Ils ont cette faculté d’émotion, qui est si générale en Orient. Ils peuvent ne jamais rire ; mais ils pleurent ; ils savent pleurer, et n’en rougissent pas.

Le père de Dostoïevski était de cette petite noblesse qui sert dans les rangs infimes de l’armée et de l’État. Elle a joué, là-bas, le rôle de la bourgeoisie en France. Ces nobles sans fortune et de rang médiocre sont artilleurs dans l’armée, ou médecins, ou professeurs à la ville, ingénieurs, chimistes. Comme ils n’ont rien que le maigre salaire d’un métier ou d’un grade sans prestige, ils épousent les filles des marchands. Telle était la mère de Dostoïevski, docile, totalement soumise à son mari, la servante chrétienne de la famille, partagée entre le ménage, les couches, la prière et le soin des enfants.

Les sœurs plus jeunes, un peu à l’écart, les deux fils aînés, Fédor et son frère Michel, toujours ensemble, liés comme le pouce et l’index, sont voués aux mêmes études, et, jusqu’à vingt-quatre ou vingt-cinq ans, ne se quittent pas.

Le jeune Dostoïevski est élevé dans l’intimité pro-