Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/29

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autres ; et moins d’être tout pour eux, il ne veut pourtant rien être. Voilà le tourment des cœurs passionnés.

Un besoin d’amour toujours déçu. Il pressent, il sait trop qu’il pèse cruellement à ceux qu’il aime.

Tout jeune homme encore, il ne dort pas, « à cause des pensées qui le torturent ». Les mots désespérés sont ses propos d’habitude : il souffre de la ville, il souffre de la solitude, il souffre de soi-même et des autres ; « Pétersbourg et ma vie m’ont paru affreux, déserts », dit-il un jour ; et il conclut : « Si ma vie avait dû s’arrêter en cet instant, je serais mort avec joie. » Il ne fait presque jamais ce qu’il veut, et telle est la maladie mortelle pour tout homme qui a une volonté, et une œuvre qu’il rêve d’accomplir. Est-ce la mauvaise fortune qui le rend malade ? Est-ce la maladie qui entrave sa fortune ? Dostoïevski est toujours empêché. Dès les vingt ans, la maladie et la misère se partagent cette vie, comme deux chiennes éternelles, lâchées par le maître des meutes infernales.

Avant le temps de sa grande révolution morale, le dégoût de ce qui l’entoure, la gêne, les transes nerveuses, les soucis le rendent presque fou. L’idée du suicide le hante. Il tourne à l’hypocondrie. Il est rongé d’insomnies. Plusieurs ont alors pensé qu’il dût perdre la raison. Il est avide de plaisir, mais le plaisir l’écorche vif ; la volupté le détraque, la jouissance l’atterre. S’il se prive, il souffre ; et il souffre encore plus quand il sort de privation. La ville ne lui vaut rien, et il est condamné à y vivre. « Pétersbourg est un enfer pour moi. »

La gêne et même la misère l’ont tourmenté sans