Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/30

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répit. Le malheur l’accable, à tous les âges. Entre les deux extrémités de la douleur matérielle et de la douleur morale, il se débat dans une lutte perpétuelle.

Au début comme à la fin, il gémit : « Que m’importe la gloire, quand je travaille pour mon pain ? »

§

On dit parfois que la misère est bonne aux grandes âmes. Il paraît qu’elle les fortifie. C’est l’idée de ceux qui n’ont jamais passé par cette damnation et cet ensevelissement. Ils ne savent pas tout ce que la misère a tué dans un homme : les forces qu’il a mises à gratter la terre pour en tirer son pain sont volées aux belles œuvres qu’il eût faites, s’il avait été de loisir. Le mal qu’il s’est donné pour tenir bon, les veilles, la colère, les angoisses qui épuisent, que d’heures, que d’années perdues ! La misère fortifie ? Oui, sans doute, quelquefois, et à quel prix ? On ne reste debout que sur le cadavre de la joie. Et la misère tue aussi. Tel a toujours été malade, pour mourir avant le temps, qui, bien portant, eût multiplié les chefs-d’œuvre ; et d’abord, il eût vécu. On oublie trop le plus bel et le plus sûr avantage, qui est, premièrement, de vivre.

La correspondance de Dostoïevski est un monument à la misère du génie, un long cri de désespoir. Lettres lamentables, en vérité : car on y entend l’éternelle lamentation d’un éternel mendiant. À vingt ans ou à quarante, et à cinquante comme à trente, c’est le même gémissement. Il pleure famine. Il appelle au secours. Il n’a plus de vêtements, il ne sait où trouver de quoi payer son terme. « Il s’agit de payer toutes mes dettes