Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/38

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Stendhal atteint au fond des passions par l’analyse de leurs effets, et des actes. Dostoïevski touche au plus secret des esprits par l’analyse des sentiments et des impressions qui les déterminent. Dostoïevski est le prodige de l’analyse sentimentale ; et il est le plus grand inventeur que l’on sache en cet ordre. Avec des moyens opposés, ils ont la même puissance ; mais de Dostoïevski à Stendhal, il y a la même différence qu’entre la géométrie de Pascal et l’analyse de Lagrange. Pascal voulait résoudre tout problème par la considération visible des figures. Ainsi Stendhal : tout comprendre. La mathématique moderne veut approcher l’essence du nombre par la détermination de l’élément intérieur, et par le fin discernement du symbole. Ainsi Dostoïevski : tout pénétrer.

Stendhal et Dostoïevski sont dans les passions ; et rien ne les intéresse, rien ne les retient que d’y être. Stendhal les montre, comme un sculpteur qui modèle ses formes. Dostoïevski les anime, et vit en elles comme un autre Pygmalion. Stendhal tient tous les fils du drame, et il s’en amuse quelques fois. Dostoïevski ne joue même pas le drame des passions : il est sur la croix avec elles.

Entre les plus intenses, homme insatiable de sentir l’homme vivant. Dostoïevski, sensible à toute vie, et aux bêtes, d’un cœur si juste, malgré tout revient toujours à l’homme. C’est le fond de l’homme qui l’occupe d’un souci constant. Tout est en fonction de l’homme pour lui, et même toute la nature.

C’est en vertu de ce sentiment insondable, du moins je l’éprouve ainsi, que Dostoïevski, ayant découvert la croix et Jésus-Christ, n’a jamais pu voir la vie que sur