Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/56

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senti une présence éternelle, ne veut rien connaître qu’en fonction de l’éternité. Et, tel il y aspire, tel il s’obstine à rêver, si on lui dit qu’il rêve.

§

Je compare la marche de l’épileptique vers la crise, au mouvement de Dostoïevski vers la profondeur.

Jamais sa pensée ne bégaie, quoiqu’il semble : elle dénombre, elle palpe l’infiniment petit ; atome après atome, elle essaie l’analyse, comme les antennes de l’insecte explorent le pollen grain à grain. On croirait qu’il hésite, parce qu’il va et vient, et qu’il titube dans le labyrinthe ; mais il ne perd jamais de vue le caractère : il en est ivre, plutôt ; il en saisit, il en goûte, il en pompe tous les aspects, et les dégorge.

Il faut qu’il débrouille le nœud des sensations et des mouvements obscurs, qui font le corps du sentiment dans les ténèbres. Il cherche tous les fils, un à un ; il les tient, à la fin ; mais toujours, il va de l’un à l’autre, en se dirigeant vers le bulbe de la racine. Un infaillible instinct lui sert de guide.

Sa ligne paraît incertaine et lente : c’est la courbe vivante, faite de petites droites en nombre infini. C’est pourquoi Dostoïevski ne conte point : raconter, c’est tout de même déduire. Le dialogue seul, ou le colloque, peut rendre tous les moments, les incidents et les inflexions de la courbe intérieure. Les grandes œuvres de Dostoïevski se font elles-mêmes dans notre esprit, à mesure que nous les incarnons à notre rêve. Elles naissent de toutes les touches et de toutes les nuances qu’elles peignent en nous. On ne comprend Dostoïevski,