Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/55

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fond sur lui avec le soleil, au chemin de Damas ; et il entend, il voit, il sent, il est engendré par ce qu’il engendre ; il s’ouvre tout entier à la conception de son Dieu, que le feu darde sur son âme, et dont elle le pénètre comme à la pointe d’un glaive rougi à blanc.

Ce tourbillon emporte le sens même du mouvement, parce qu’il souffle sur le temps comme un grand vent sur la fleur de pissenlit. L’excès de la vitesse aplanit la totalité du temps : tout est profondeur, sous la pellicule éclatante d’un éternel et redoutable apaisement. Là, tout s’explique ; et là, tout est conçu comme expliqué. L’homme n’est plus rien que sa passion parfaite, cette connaissance qui passe de bien loin la perfection du désir. Il n’est plus rien de soi, parce qu’il est la conscience de son monde. Il est sa propre fin, il en est pénétré, et il la pénètre. Il n’est plus le misérable volant de l’énergie qui l’anime ; il se fond dans cette énergie même, il en est le noyau, le centre stable et l’explosion universelle.

Les témoins de l’extase comptent par minutes et par secondes, ce que le sujet sacré ne saurait pas compter, sans l’anéantir avec soi-même. Mahomet disait qu’en un de ces instants, il déplaçait les montagnes et empilait les siècles, pour en faire la coupe unique où il buvait. Dostoïevski a pratiqué ces excès. Il en avait l’angoisse. Crainte qui se double d’une terreur mystique, dans l’ordinaire de la vie : non pas seulement parce qu’on attend le retour de l’extase ; mais parce que l’âme qui a visité la profondeur ne peut plus vivre que dans les grands fonds : elle y plonge tous les objets de la vie, toutes les pensées et tous les actes. La profondeur est sans repentance comme elle est sans pardon. Qui a