Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/60

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l’emporte. Dans tous les grands poètes, la matière est vaincue. Plus ils aiment la chair, plus ils la craignent. Ou bien, ils s’en défient. En vérité, qu’est-ce donc qu’un art qui n’est pas idéaliste ? Mais qu’est-ce même qu’une pensée ?

§

Comme il est en amour, voilà le grand secret de l’homme, et que l’artiste cache le plus. Ce secret connu fait connaître le reste du caractère. Je ne pense pas seulement à l’amour de l’artiste pour son Dieu et pour son art ; mais à son amour de la femme, à toutes ces pensées de la chair, que la conscience ignore et que le cœur nourrit, sans toujours les nommer, dans un espace de mystère. Et souvent, le secret de l’homme n’est pas dans ce qu’il livre de soi à l’objet de son amour, mais beaucoup plus en tout ce qu’il réserve, en ce qu’il dissimule, qu’il ne laisse jamais voir et ne confie à personne.

De livre en livre, Dostoïevski fait un ménage bizarre avec les femmes. Quelles noces tristes et ardentes que les siennes ! Je cherche en lui la clé de ses chefs-d’œuvre. Sa vie n’a pas osé tout ce que ses œuvres accomplissent. Ses œuvres n’ont plus d’obscurité, quand on les éclaire de sa vie.

Il avait fait un mariage étrange, en Sibérie, avec la veuve d’un médecin, une femme malheureuse et déjà un peu vieillie : mariage comme on en voit dans ses romans, noces de la compassion et du délire, un mélange de pleurs, d’hystérie, de souffrances et de remords. Dostoïevski et ses héros se marient comme on choisit la plus longue torture en tous les genres de