Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/61

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supplices. Il s’agit de prendre la croix, et souvent sans espoir.

Le désir n’y est qu’un attrait de plus au sacrifice. La chair, même faible, ne cherche pas son plaisir, mais son épreuve et sa tristesse.

L’âme se donne sans joie, non pas comme à une promesse de bonheur, mais à une sorte de misère déchirante, à une fatalité de son choix. Ce serait peu si, n’espérant pas le bonheur pour soi-même, on gardait l’illusion de le donner à un autre que soi. Mais il n’en va pas ainsi. Les mariages de Dostoïevski achèvent une infortune qui n’eût pas été complète, si les amants ne se mariaient pas, mais qui les eût menés à la folie, s’ils n’avaient pas résolu d’accomplir leur malheur. Car telle en est la fin : les mariages de Dostoïevski sont des malheurs accomplis. Au fond, il est contre la chair jusque là, que rien ne lui doit réussir, ni ce qu’elle obtient, ni ce qu’elle eût tant souffert de ne pas obtenir. Elle n’atteint que sa misère. Et c’est tout ce qu’elle mérite.

Il a, pour les femmes, une tendresse brûlante et douloureuse. On dirait qu’il a besoin de souffrir par elles, et qu’ayant horreur de les faire souffrir, il n’ignore pourtant pas qu’il leur sera toujours une occasion de souffrance.

Un désir d’elles comme infini, et une crainte d’y toucher, une terreur d’y satisfaire. Une peur d’elles toutes est en lui, et c’est par là surtout qu’elles l’attirent. Il ne pouvait sans doute pas se passer de la présence féminine ; et sans pouvoir faire, en rien, le bonheur d’une femme, il lui fallait rêver qu’une femme fît le sien.