Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/72

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La passion de l’innocence le poussera, peut-être, à vivre en amant avec une petite fille. Non pour la corrompre, que le ciel en soit témoin ! pour approcher sa fraîche pureté et s’y purifier soi-même ; pour la connaître : on ne connaît que dans la possession, et toute possession touche au crime, hélas ; pour l’accroître de ses propres larmes, cette adorable innocence. Enfin, pour y retrouver la sienne.

Jamais assez de bonheur ! Jamais assez de joie ! Et toujours dans la tendresse. Et le rire dans les larmes. Car où est-il le bonheur, sinon dans la folie de tout ce qu’il nous coûte ? L’âme souffrante est seule égale à cet insatiable appétit. Et elle n’est point, si d’abord elle ne soupire.

A-t-il des regrets et des remords, Dostoïevski, lui qui va si loin dans l’art cruel de se connaître ? Il s’en donne toute l’apparence. Mais remords est un gros mot, qui cache ce qu’il devrait définir. Dostoïevski a le désespoir de ne jamais atteindre ce plein de la passion qu’il poursuit. Suave désespoir, déception terrible, espace du désaveu, déserts de l’entier délaissement de soi-même. L’unique passion est, en somme, la passion de la plénitude.

Un artiste créateur voudrait presque participer, de moment en moment, à la création universelle. C’est pourquoi il se déteste, en vain, lui-même à l’infini : il ne se méprise pas. Il peut, au contraire, mépriser beaucoup les autres : et sans jamais les détester, pourtant. Il est, en lui, une ardeur éternelle pour le noyau du fruit. Tous les crimes pourront hanter son âme : elle ne saurait rien perdre de sa pure volonté, qui est de ne pas nuire, ni de sa primitive convoitise,