Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/73

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qui est l’innocence, après tout. Elle n’aspire qu’à saisir l’objet vivant, à l’adorer en lui-même, à le posséder jusqu’à le détruire. Enfin, je dirai qu’elle veut le tuer, cet objet d’amour, pour le recréer ensuite aux dépens de sa propre vie.

Dostoïevski n’est pas du tout Rousseau étalant ses misères, et bravant à mesure qu’il dit : « Vous êtes plus misérables que moi ; et je vaux mieux que vous, du moins en ce que je vous montre que je ne vaux rien. »

Pour lui, Dostoïevski, il vaut un grand prix ; et tous valent le leur. Il touche le fond, qui est la valeur même de la vie, comme au-dessous des océans, pourvu qu’on jette assez la sonde, c’est toujours la solidité immuable de la terre ; et toutes les mers ne sont qu’une robe de rosée sur l’écorce.

Dostoïevski ne réprouve que la méchanceté sans amour. Le désir lui est sacré, pour peu qu’il porte flamme : le désir même impur. Pour lui, il n’y a rien de médiocre en soi : parce qu’en lui, même les forfaits de la chair, tout est cœur et âme, ou, du moins, en recèle. Rien n’est vil, à ses yeux, sur la terre, que les peuples et les hommes sans âme. Verser dans tous les péchés, au besoin, pour être capable de les tous expier, les eût-on même caressés, dans le brasier que le cœur alimente. Où est l’amour, là est la vie, encore un coup. Où est la vie, là est le bien. Voilà pourquoi il est si bon d’expier l’erreur incluse au crime : tout châtiment est injuste, et l’œuvre du démon dans celui qui l’inflige. Juste et salutaire, dans le coupable qui l’accepte : car son cœur le réclame. Ou avoir la force de se punir soi-même, ou être puni. La vie, perdue dans la faute, se