Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/78

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Si je gagnais toujours, je voudrais jouer pour perdre. Comme il est plus ordinaire de toujours perdre, on joue pour gagner, ce soir ou demain, ou la semaine prochaine, ou quelque jour, enfin. Je gage, en jouant, que Dostoïevski priait.

§

Qu’il manque de dignité avec noblesse ! Qu’il s’élève bien au-dessus des usages ! Comme il en tient justement compte, en n’en tenant pas compte, en faisant fi de ce qu’on attend de lui ! Quel profond honneur le dispense de satisfaire à l’honneur selon le monde, cette suite infinie de petites bassesses, que recouvre un masque d’impudence banale, peint aux couleurs d’une politesse propre à tout usage[1] !

L’honneur, dans la société moderne, n’est qu’une façade d’argent sur un palais où il n’y a plus rien, ni salles, ni meubles, ni chambre des époux : l’incendie a passé par là, et la maison est vide même du secret nuptial. Dostoïevski n’a point de part à cet honneur des salons et des capitales.

  1. Triomphe de cet honneur chez les Anglo-Saxons. Là, pour un homme, la gloire est de vivre en masque. Ils se rendent maîtres de toutes leurs émotions, disent-ils. Mais, la plupart, ils n’en ont pas. Et celles qu’ils ont, ils les montrent fort bien : le mépris des autres, la dureté des cœurs, la hargne brutale de l’esprit puritain, la haine des mœurs libres ; et cette terre promise des gentilshommes étale ses grappes d’ivrognes : parce qu’en effet elle en a.
    Ils se lavent avec soin, chaque jour, des pieds à la tête ; et, Bible en main, ils méprisent atrocement les pauvres. Ils ont tous le même savon ; ils sont bien vêtus, à la même mode. Pas une tache sur les habits ; pas un grain de poussière à la maison. Mais du foin dans la tête, et du galet sous le sein gauche. Ils disent toujours la vérité ; mais tout leur être ment, dès ce ventre de leur mère, qu’il est défendu de nommer.