Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/80

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aux yeux de tout le monde ; mais il ne saurait trahir l’œuvre qu’il porte.

Par là, il me rappelle Wagner, une fois de plus. Et certes, en des arts si opposés, d’une matière si diverse et d’une forme si contraire, Wagner et Dostoïevski se touchent de plus près que pas deux autres. L’analyse de Wagner et celle de Dostoïevski procèdent du même fond. Les mêmes mouvements intérieurs, qui se combinent, s’enlacent, se nouent et se dénouent, la même volonté du cœur, ici et là, enveloppent un sentiment unique. Elles vivent d’émotion, et, en deux ordres différents, elles tendent à produire une émotion semblable.

§

Les arbres ne sont pas de la même essence. Les feuillages diffèrent ; et les branches se dirigent vers des horizons contraires ; mais les racines sont communes.

Je reconnais Wagner même au rire de Dostoïevski. Wagner n’a ri qu’une fois ; et sa joie, non pas sa gaîté, trempe dans l’émotion. Il n’y a pas l’ombre de gaîté dans le grand Russe. Pour moi, le comique énorme et douloureux de Dostoïevski me touche le plus. Lébédev, Marméladov, le père Karamazov, tant d’autres, figures étonnantes, d’une plénitude incomparable, à la Falstaff. Elle vient de l’amour, comme le reste. Ils s’aiment, ces bouffons ! ils s’aiment à fond, comme des monstres ou des enfants. Et ils aiment la vie, comme des saints. On peut donc les aimer, jusque dans le mépris qu’ils inspirent. À la vérité, Dostoïevski est un des croyants magnifiques à la beauté de ce monde, qui seraient