Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/82

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vivre dans les conditions où ceux-là ont vécu. Ils ne sont pas dans la mort, ni impitoyablement condamnés, comme les deux secrétaires perpétuels de Flaubert, automates de l’universelle dérision.

§

Il est contre l’Occident, dans la mesure où l’on s’arme de l’Occident contre la Russie.

Jamais Dostoïevski n’a pu donner de gages à quelque parti que ce fût, pas même au sien : celui de la terre et des vivants. La volonté de nier lui est toujours étrangère. Il affirme en niant. La haine n’est pas en lui. Il n’est même pas antisémite. Il est contre les Juifs au même titre qu’il combat tous ceux qui nient le Christ et la Russie.

Comme il est libre, en dédaignant toute liberté politique ! Il sait que la liberté n’est pas dans le vote. Car, sont-ce pas les esclaves qui votent ? Qu’il soit libre de tout parti, je le sens à la force de sa fibre première : l’art, la politique, la religion, en Dostoïevski, tout sort de la même cellule : l’humble orgueil d’être le confident de la vie universelle, et de se confondre avec elle, indéfiniment.

Il faut qu’un homme en vaille bien la peine, pour qu’il se donne à l’univers. Ou quel don ferait-il ? Qu’il tombe du plus haut, ou qu’il s’agenouille d’abord, s’il se couche enfin sur le corps de la terre, comme il le doit, c’est pour rendre à cette mère tous ses baisers et toutes ses larmes, un grand amour et une grande joie. Tout donner enfin n’est pas assez, si l’on ne donne beaucoup.