Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/83

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Dostoïevski exalte le moi pour en faire à la vie un sacrifice digne d’elle. Tout de même, il porte au plus haut point sa race et sa patrie pour en offrir le miracle au genre humain. Il n’est pas aigrement l’homme de la Russie contre l’Europe. Mais il ne veut pas que l’Europe soit appelée par la Russie même à corrompre la Russie, à la déformer et à la détruire. Qui absorbe, détruit. Il faut se nourrir de la pensée étrangère, mais ne pas se laisser digérer par elle.

L’amour du sol et de la race n’invite pas Dostoïevski à l’isolement. C’est un amour qui aime et se prodigue, non pas une possession jalouse qui thésaurise. Il n’écarte rien, il ne repousse que la confusion. Plus la Russie sera russe, plus l’Europe sera l’Europe, et plus en sera noblement accrue la vie du genre humain.

Amour du sol sans petitesse ni rancune. La terre est d’un seul tenant. Droit à la terre, pour qui baise et qui aime la terre. Sans doute, on tient d’abord au coin de terre qui nous tient. Mais pour Dostoïevski, les morts ne gouvernent pas les vivants : jamais Dostoïevski ne remue ce poison mortel ; jamais il ne convoque les morts, fût-ce dans leurs vertus. C’est à la générosité des vivants qu’il en appelle, et à leur grand amour qui fait vivre les morts. Dostoïevski est bien trop fort pour s’enfermer dans un cimetière. Nous ne vivons pas dans un charnier, mais dans une pépinière au soleil, bénie de nos larmes. Il ne s’agit pas d’enterrer la vie, mais de la renouveler. L’œuvre de l’homme n’est pas de cultiver les germes d’un sépulcre, mais de rajeunir la terre, et le sépulcre même, en y semant des cultures nouvelles, avec piété.

Point d’avarice, ni de ressentiment acide. Dostoïevski