Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/99

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dédaigne de s’abaisser. Mais tant elle a de pieuse complaisance, que nulle offense ne l’atteint, et qu’elle sourit au mépris même.

Baiser la terre avec transports, dans la joie ou dans la douleur, dans l’ivresse du bien ou dans l’aveu du crime, baiser la terre en pleurant, s’y renouer, y remplir au griffon du sang le cœur qui se vide et s’altère, voilà le culte où Dostoïevski convie ses enfants. Et ces pleurs sont riches d’un bonheur ineffable : ils ont la vie, qui est la seule joie et toute joie.

Adore la vie : ton baiser à la terre, d’où tu viens et où tu vas, et tes larmes confessent ton adoration. Prends patience du mal, à ce rite, et prends-y conscience de tout bien.

Ton cœur déborde. Il te quitte. Il va à toute cette vie qui l’appelle. Et où irait-on qu’à la vie ?

Ainsi tes pleurs ont la joie, toute celle que tu attends, en celle que tu donnes. Ils ont la joie excessive de toi-même qui te quittes. Ce n’est pas que tu te regrettes : c’est que tu te délivres. Jusqu’à ce baiser pleurant, quel abîme tu te fus à toi-même, et quel désert aux dunes de souffrance universelle, infinie, perpétuellement renouvelée, égale comme le vide. Et souffrir pour rien, il n’est pas d’autre damnation. L’enfer est la souffrance dans le vide. Couché contre la terre, tu es le mort béni de la mort volontaire, qui est toute vie : en te quittant, tu ressuscites. Ce départ sans retour est le véritable amour, chère âme.

§

Ce n’est pas cet amour de tête, qui crie : Vivre ! Vivre ! avec la bouche affreuse d’un mort. C’est la mélo-