Page:Cahiers de la quinzaine, série 9, cahier 1, 1907.djvu/104

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Plaine infinie. Plaine infiniment grande. Plaine infiniment triste. Sérieuse et tragique. Plaine sans un creux et sans un monticule. Sans un faux pas, sans un dévers, sans une entorse. Plaine de solitude immense dans toute son immense fécondité. Plaine où rien de la terre ne cache et ne masque la terre. Où pas un accident terrestre ne dérobe, ne défigure la terre essentielle. Plaine où le Père Soleil voit la terre face à face. Plaine de nulle tricherie. Sans maquillage aucun, sans apprêt, sans nulle parade. Plaine où le soleil monte, plaine où le soleil plane, plaine où le soleil descend également pour tout le monde, sans faire à nulle créature particulière l’hommage, à toute la création l’injure de quelque immonde accroche-cœur, d’une affection, d’une attention particulière. Plaine de la totale et universelle présence de tout le soleil, pour toute la terre. Puis de sa totale et universelle absence. Plaine où le soleil naît et meurt également pour toute la création, sans une faveur, sans une bassesse, pour toute la création de la terre dans la même calme inaltérable splendeur.

Plaine du jugement, où le soleil monte comme un arrêt de justice.

Plaine, océan de blé, blés vivants, vagues mouvantes ; à peine quelques carrés de luzerne pour quelques rares vaches, à peine quelques fourrages pour les chevaux, du sainfoin, parce qu’il faut tout de même bien des chevaux pour les fermes ; et au milieu de la ligne plusieurs grands triangles et grands carrés de betteraves ; une tache ; une tare ; mais c’est pour la grande sucrerie de Toury.