Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 2, 1912.djvu/28

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Europe, sous le couvert nominal des principes et de la tradition révolutionnaires. Accordant ses vues à celles des catholiques, des traditionalistes, des contre-révolutionnaires, il refusait avec âpreté de laisser confondre les raisons qui le déterminaient avec celles qui promouvaient un Veuillot, à plus forte raison, un Thiers. Cette double attitude, en même temps qu’elle isolait Proudhon, lui donnait une liberté, une indépendance qui permirent la croissance et le développement original de sa pensée. Catholiques qui s’absorbaient strictement dans la défense du droit de l’Église, diplomates de la vieille école, qui perpétuaient les enseignements de Talleyrand, qu’ils aient élevé la voix, tel Veuillot, au nom d’une fraction immense de la nation, ou, comme Thiers, qu’ils aient parlé pour un petit groupe de politiques, ni les uns ni les autres, encore que leur parti pris fût conforme aux intérêts de la France, ne le justifiaient de ce point unique de concentration nationale.

Dans l’affaire de l’unité italienne, dans la campagne de presse qui précéda, escorta et prolongea la campagne militaire, Proudhon, hostile aux démocrates, suspect aux conservateurs, dégagé de toute coterie politique et de toute faction étrangère, parla, lui, au nom de la France. On discutait droits, coutumes diplomatiques, intérêts aupérieurs, mais spéciaux, de la religion catholique, et dont l’universelle portée échappait aux anticléricaux : Proudhon apportait les fruits d’une puissante observation ; la situation historique et géographique de l’Italie, les fatalités qui découlent de sa position sur la Méditerranée, la loi de son être historique, Proudhon les montrait destinées à contrarier l’expansion et la grandeur de la France, bien plus, à heurter les conditions mêmes de notre existence en corps de nation.

Il est aisé de nous opposer certains arguments de Proudhon, et qu’il ne combattait l’unité de l’Italie qu’au profit d’un fédéralisme mystique. Il ne s’agit pas ici de faire le compte des raisons mises en avant par Proudhon, mais seulement de relever dans son œuvre les symptômes d’une profonde clairvoyance, et d’admirer les avertissements qu’il ne cessa de prodiguer