Page:Cahiers du Cercle Proudhon, cahier 5-6, 1912.djvu/22

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fous au bout de trois ans, il n’y paraîtrait plus. Un grand État, une grande nation, aurait disparu. Mais la vigne continuant de fleurir, les campagnes de se couvrir de moissons, le vin coulerait, l’argent circulerait ; on boirait, on chanterait, on rirait, on ferait l’amour, comme au lendemain du déluge : nubebant et bibebant et plantabant et ædificabant. » Et Proudhon ajoute : « Que tous les hommes qui aiment leur pays, que ceux pour lesquels les États sont autre chose que de vaines abstractions et qui ne croient pas que la vie et même le bien-être des individus sauvés, tout soit sauvé, que ceux-là y réfléchissent »[1].

Je demande aux syndicalistes : voulez-vous donc être de ces fanatiques du démembrement dont parle Proudhon et croyez-vous, vraiment, que la disparition de la France, comme État et grande nation politique, soit nécessaire au triomphe de la Révolution ? Jamais, pour la France, la situation n’a été plus critique, et c’est vraiment, pour elle, une question de vie ou de mort qui est posée. La France qui, littéralement, se dépeuple ; la France qui, politiquement, est, à l’intérieur, la proie d’une bande de politicailleurs et de sous-Homais et, à l’extérieur, la demi-vassale de l’Angleterre et de Guillaume II ; la France, envahie en pleine paix par l’Allemagne surpeuplée et soumise au système le plus savant et le plus raffine de pénétration pacifique ; la France qui, économiquement, est en retard sur tous ses voisins, banquière du monde, et passant ainsi, ce qui est toujours le signe le plus grave de décadence, du rang de peuple producteur au rang de peuple prêteur et consommateur, — dites-moi, syndicalistes, croyez-vous que cette France-là soit un terrain bien favorable à

  1. Proudhon, La Guerre et la Paix (T. II, pp. 272-273).