Page:Cahiers rationalistes - 1972 - n° 288-289 (extrait Hommage à Paul Langevin, La vie l’œuvre et l’action).djvu/31

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Il confectionne à cet effet des modèles d'atomes avec des balles de ping-pong, et dresse en un grand tableau une nouvelle classification des éléments, qu'il a conçue. Les amis troyens de Paul Langevin apprécient chaque jour davantage le rare bonheur d'approcher sans contrainte cet homme à la fois si grand et si simple, dont l'accueil chaleureux et la conversation passionnante sont une joie toujours renouvelée. Car aucun sujet ne lui est étranger, son érudition et sa curiosité d'esprit s'étendant aussi bien à la littérature, à l'art ou à l'histoire qu'à la philosophie ou aux problèmes sociaux. Dans les moments de détente, on découvre en lui une gaîté spontanée, volontiers malicieuse quoique toujours bienveillante, qui s'exprime par ce rire franc des êtres purs, si bienfaisant aux coeurs inquiets. Cependant, pour le vieil homme, les meilleures périodes sont celles des vacances scolaires, pendant lesquelles il a le bonheur de recevoir près de lui son dernier fils, un jeune garçon né en 1933, dont les réparties font sa joie. Il a l'art de susciter et de satisfaire la curiosité d'esprit de l'enfant, imagine à son intention de petites expériences éducatives (découpage de polyèdres réguliers ou d'une balance dans du carton), l'initie déjà à certaines démonstrations mathématiques et l'emmène dans de longues marches à travers champs et forêts, ou à la découverte des vestiges archéologiques de la région.

En 1942, une cruelle épreuve atteint Paul Langevin : sa fille, et son gendre Jacques Solomon, surveillés depuis de longs mois par la Gestapo comme résistants et communistes, sont arrêtés. Après quelques semaines, Jacques Solomon est fusillé, sa femme déportée à Auschwitz. C'est un coup terrible pour cet homme de soixante-dix ans dont le coeur avait besoin de ménagements. Pourtant, en dépit de l'angoisse qui l'étreint, il garde intacte sa confiance en des jours meilleurs, et sa patience reste inaltérable. Mais son pas alerte s'est ralenti, et il doit désormais éviter toute fatigue. Le temps passe... La défaite allemande s'annonce proche ; mais le risque grandit pour le savant qui peut, au dernier moment, représenter un otage de choix. Au printemps de 1944, des amis organisent sa fuite. Après une dernière signature, muni d'une carte d'identité au nom de Léon Pinel (son grand-père maternel), il prend le train pour Paris où il passe deux