Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/24

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Mais cette Démocratie, qui portait à son frontispice une balance de justice et la devise : Progrès social sans révolution, cette Démocratie s’adressait à l’abonné qui possède. Luttant pour amener doucement, sans violence ni commotion, le règne de l’harmonie sociétaire, elle avait dû, pour la satisfaction de son principe et de sa clientèle, se séparer bruyamment des démocrates purs et renier plus bruyamment encore les socialistes de toute autre école que la sienne. Un libéralisme aussi bien pensant déconcertait Leconte de Lisle, qui pendant de longues années devait professer le mépris pour le riche, la haine contre le propriétaire. Au fond de son cœur, il était alors plus que républicain ; il était partageur égalitaire et non pas pour lui-même (personnellement il n’avait pas de besoins), mais pour le peuple qui souffre, pour la masse que l’injuste répartition écrase.

De plus, entre les deux systèmes d’application qui divisaient le fouriérisme, il penchait par inclination vers le système contraire à celui qu’avait arboré Victor Considérant. Suivant le chef des milices phalanstériennes, « ce grand agitateur de la rue de Beaune », toute idée nouvelle échoue fatalement dans les milieux politiques réfractaires et ne peut pénétrer dans ces milieux, s’y faire une voie, qu’en s’unissant d’action et d’intérêt avec eux. Remuer et grouiller pour avoir l’air de vivre, s’immiscer et pactiser pour se faire accepter, telle était la règle de la Démocratie pacifique, règle suivie par la rédaction, en tête de laquelle bataillaient Cantagrel, Toussenel, Laverdant et pendant quelque temps Jean Journet l’apôtre. À ce système de propagande temporelle, les idéalistes opposaient le système spirituel, l’expansion par le développement purement doctrinal. En s’abstenant de toute ingérence politique, ils croyaient moins effaroucher le bourgeois. Leur réserve, ennemie du tapage, plaisait à la noblesse intellectuelle du jeune Leconte de Lisle.