Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/25

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Cependant les offres étaient belles : un traitement de dix-huit cents francs et l’impression d’un volume de vers prêt pour l’édition ; mais, à ce prix, il fallait soutenir les idées du journal. À cette époque de foi politique et de luttes ardentes pour le triomphe d’une opinion, un journal n’était pas la tribune indifférente dont le titre sert uniquement d’étiquette commerciale et sur le tréteau de laquelle viennent parader, pour l’amusement du lecteur, les jugements les plus disparates ou les plus incohérentes divagations. Un journal était la feuille d’un parti ; il représentait un bataillon. Y collaborer, c’était entrer dans le rang, c’était s’engager comme unité de combat pour se mêler aux coups de plume, même aux coups de poing.

Et ce principe d’une Rédaction organisée, conduite en phalange, s’imposait si bien que l’individualité des rédacteurs s’effaçait devant lui. La plupart des articles ne se signaient pas, et ce fut la Présidence qui fit cesser l’anonymat en exigeant pour chaque article un rédacteur responsable sous la garantie de la signature. On conçoit qu’avant de s’enrôler un écrivain voulût être sûr de bien marquer le pas avec son chef de file. Une fois en marche, il lui fallait suivre à l’alignement. Leconte de Lisle hésita.

Est-ce à dire qu’il n’avait pas la vraie foi fouriériste ? Non certes, et, seul peut-être de tous les disciples, il perpétua dans ses écrits l’une des affirmations fondamentales de la doctrine. Fourier avait fixé, comme premier axiome, que pour arriver au bien il faut commencer par s’éloigner du mal ; mais d’où vient le mal ? Et Fourier répondait : « Le mal vient de Dieu, de cette fausse Providence dont les plans, soi-disant immuables et tels que la vie nous les révèle, se sont traduits par de si cruels effets qu’ils semblent le caprice d’une force infiniment ingénieuse à torturer les êtres qu’elle a créés. » Et Fourier partait de l’existence du mal pour censurer les opérations de Dieu, pour réclamer une nouvelle théorie de la Providence et