Page:Calmettes - Leconte de Lisle et ses amis, 1902.djvu/74

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geois allaient avoir aussi leurs journées de Juin. »

Dans son Histoire d’un crime, Victor Hugo s’indigne de cette inertie du peuple ; mais, en toute vérité, quels sentiments ce même peuple pouvait-il professer à l’égard de la République ? Ne se souvenait-il pas des envois aux pontons après le 15 mai, des fusillades et des déportations sans jugement après le 25 juin 1848, des proscriptions en masse après le 13 juin 1849 ? Devait-il se faire tuer pour Cavaignac « le bombardeur » et pour la pâle Assemblée dont l’action bienfaisante ne s’était manifestée que par des feux de peloton et des charges à la baïonnette ? « À votre tour, bourgeois, de passer sous la canardière. Les balles dont vous vous êtes servis contre le peuple se détournent contre vous. À fusilleur, fusilleur et demi. Que Bonaparte culbute Cavaignac ou Cavaignac Bonaparte, de l’un ou de l’autre le peuple ne peut attendre que des coups. Il n’interviendra pas. » Sans plus vouloir écouter de Flotte, les ouvriers le reconduisirent jusqu’aux limites du quartier dont ils étaient les maîtres. Et ce fut la seule marque de déférence qu’ils crurent devoir lui témoigner.

Alors, quand la résistance si mal soutenue fut définitivement abattue, tandis que la police, achevant l’œuvre de l’armée, poussait menottes aux mains les vaincus vers les forts de Bicêtre et d’Ivry d’où partirent les convois pour Lambèse et Cayenne, tandis que les commissions mixtes renouvelaient les sombres jours de la Terreur blanche, de Flotte traqué mettait à l’épreuve ses amis en réclamant d’eux le soin de le cacher.

Rien n’égale l’humaine lâcheté, dans ces temps de liquidation politique et de massacres sans miséricorde. La défaite de la Commune en 1871 fit surgir trois-cent quatre-vingt mille dénonciations, et la police, noyée par un tel débordement, dut en arrêter le cours. De Flotte… mais je garderai le silence sur un abandon qui lui brisa l’âme jusqu’à le faire sangloter. À