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rais renouveler de temps en temps ; cette huile et le lait étant, comme on sait, le contre-poison le plus sûr pour les déchiremens qu’excitent les corrosifs. La reine avait une habitude qui inquiétait particulièrement M. Vicq-d’Azyr : du sucre en poudre se trouvait toujours sur la commode de la chambre de Sa Majesté ; et souvent, sans même appeler personne, elle en mettait des cuillerées dans un verre d’eau, lorsqu’elle voulait boire. Il fut convenu que je ferais râper une grande quantité de sucre chez moi ; que j’en aurais toujours des cornets dans mon sac, et que trois ou quatre fois dans le jour, lorsque je me trouverais seule dans la chambre de Sa Majesté, je le substituerais à celui du sucrier. Nous savions que la reine eût empêché toute précaution de ce genre, mais nous ignorions son motif. Un jour, elle me surprit seule, faisant l’échange dont je viens de parler, et me dit qu’elle jugeait bien que c’était une opération concertée entre moi et M. Vicq-d’Azyr ; mais que je prenais une peine bien inutile : « Souvenez-vous, ajouta-t-elle, qu’on n’emploiera pas un grain de poison contre moi. Les Brinvilliers ne sont pas de ce siècle-ci ; on a la calomnie qui vaut beaucoup mieux pour tuer les gens ; et c’est par elle qu’on me fera périr. »

Pendant que des avertissemens aussi tristes et les projets les plus criminels affligeaient et flétrissaient le cœur de cette infortunée princesse, des témoignages les plus sincères d’attachement pour sa personne et pour la cause du roi, venaient souvent