Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/125

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lui offrir d’agréables illusions, ou le spectacle touchant des larmes que ses malheurs faisaient répandre. Un jour, pendant ce même voyage de Saint-Cloud, je fus témoin d’une scène bien attendrissante, et que nous eûmes soin de ne pas divulguer. Il était quatre heures après-midi, la garde n’était pas montée, il n’y avait presque personne ce jour-là à Saint-Cloud, et je faisais une lecture à la reine qui travaillait à son métier dans une pièce de son appartement dont un balcon donnait sur la cour. Les fenêtres étaient fermées ; nous entendîmes cependant un bruit sourd formé par un grand nombre de voix qui semblaient n’articuler que des sons étouffés. La reine me dit d’aller voir ce que c’était ; je levai le rideau de mousseline, et j’aperçus, au-dessous du balcon, plus de cinquante personnes : cette réunion était composée de femmes, jeunes et vieilles, parfaitement mises dans le costume en usage à la campagne ; de vieux chevaliers de Saint-Louis, de jeunes chevaliers de Malte et de quelques ecclésiastiques. Je dis à la reine que c’était probablement une réunion de plusieurs sociétés des campagnes voisines, qui désiraient la voir. Elle se leva, ouvrit la fenêtre et parut sur le balcon : voilà tous ces braves gens qui lui disent à voix basse : « Ayez du courage, Madame, les bons Français souffrent pour vous et avec vous ; ils prient pour vous, le Ciel les exaucera ; nous vous aimons, nous vous respectons, nous révérons notre vertueux roi. » La reine fondait en larmes,