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et avait porté son mouchoir sur les yeux. « Pauvre reine ! elle pleure ! » disaient les femmes et les jeunes filles : mais la crainte de compromettre Sa Majesté et même les personnes qui lui montraient tant d’amour, m’inspira de prendre la main de Sa Majesté, avec le signe de vouloir la faire rentrer dans sa chambre ; et, en levant les yeux, je fis entendre à cette estimable société que la prudence dictait ma démarche. On le jugea ainsi, car j’entendis : Elle a raison cette dame ; et puis des : Adieu, Madame ; et tout cela avec des accens d’un sentiment si vrai et si douloureux, qu’en me les rappelant, au bout de vingt ans, j’en suis encore attendrie.

Quelques jours après arriva l’insurrection de Nancy. On n’en a connu que le motif apparent ; il y en avait un autre dont j’aurais pu être bien informée, si le trouble extrême que j’éprouvai à ce sujet ne m’eût pas ôté la faculté d’y faire attention : je vais tâcher de m’expliquer. Dans les premiers jours de septembre, la reine, en se couchant, m’ordonna de laisser sortir tout son service, et de rester près d’elle : lorsque nous fûmes seules, elle me dit : « À minuit le roi viendra ici. Vous savez qu’il vous a toujours distinguée ; il vous donne la marque de confiance de vous choisir pour écrire, sous sa dictée, tout le récit de l’affaire de Nancy. Il faut qu’il en ait plusieurs copies. » À minuit, le roi entra chez la reine, et me dit en souriant : « Vous ne vous attendiez pas à être mon secrétaire, et cela pendant la nuit. » Je suivis le roi ; il me conduisit