Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/155

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étonna point, mais elle me dit qu’il était bien changé ; que ce jeune homme, plein d’esprit et de sentimens nobles, était de cette classe distinguée par l’éducation et seulement égarée par l’ambition que fait naître un mérite réel. « Un sentiment d’orgueil que je ne saurais trop blâmer dans un jeune homme du tiers-état, disait la reine en parlant de Barnave, lui a fait applaudir à tout ce qui aplanissait la route des honneurs et de la gloire, pour la classe dans laquelle il est né : si jamais la puissance revient dans nos mains, le pardon de Barnave est d’avance écrit dans nos cœurs. » La reine ajoutait qu’il n’en était pas de même à l’égard des nobles qui s’étaient jetés dans le parti de la révolution, eux qui obtenaient toutes les faveurs, et souvent au détriment des gens d’un ordre inférieur, parmi lesquels se trouvaient les plus grands talens : enfin que les nobles, nés pour être le rempart de la monarchie, étaient trop coupables d’avoir trahi sa cause pour mériter leur pardon. La reine m’étonnait de plus en plus par la chaleur avec laquelle elle justifiait l’opinion favorable qu’elle avait conçue de Barnave. Alors elle me dit que sa conduite en route avait été parfaite, tandis que la rudesse républicaine de Pétion avait été outrageante ; qu’il mangeait, buvait dans la berline du roi, avec malpropreté, jetant les os de volailles par la portière, au risque de les envoyer jusque sur le visage du roi ; haussant son verre, sans dire un mot, quand madame Élisabeth lui versait du vin, pour indiquer qu’il en avait