Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/157

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curé de village, à quelques lieues de l’endroit où ce crime venait d’être commis, eut l’imprudence de s’approcher pour parler au roi ; les cannibales qui environnaient la voiture se jettent sur lui. « Tigres, leur cria Barnave, avez-vous cessé d’être Français ? Nation de braves, êtes-vous devenue un peuple d’assassins ?… » Ces seules paroles sauvèrent d’une mort certaine le curé déjà terrassé. Barnave, en les prononçant, s’était jeté presque hors la portière, et madame Élisabeth, touchée de ce noble élan, le retenait par la basque de son habit. La reine disait, en parlant de cet événement, que dans les momens des plus grandes crises, les contrastes bizarres la frappaient toujours ; et que, dans cette circonstance, la pieuse Élisabeth, retenant Barnave par le pan de son habit, lui avait paru la chose la plus surprenante. Ce député avait éprouvé un autre genre d’étonnement. Les dissertations de madame Élisabeth sur la situation de la France, son éloquence douce et persuasive, la noble simplicité avec laquelle elle entretenait Barnave, sans s’écarter en rien de sa dignité, tout lui parut céleste dans cette divine princesse, et son cœur, disposé sans doute à de nobles sentimens, s’il n’eût pas suivi le chemin de l’erreur, fut soumis par la plus touchante admiration. La conduite des deux députés fit connaître à la reine la séparation totale entre le parti républicain et le parti constitutionnel. Dans les auberges où elle descendait, elle eut quelques entretiens particuliers avec Barnave. Celui-ci