Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/259

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ches, en donna une à ma sœur et une à moi. Nous voulûmes lui baiser la main ; il s’y opposa et nous embrassa sans rien dire. Dans la troisième pièce était la reine, couchée et dans un état de douleur qui ne peut se définir. Nous la trouvâmes seule avec une grosse femme dont l’air était assez honnête. C’était la gardienne de cet appartement ; elle servait la reine qui n’avait encore personne à elle. Sa Majesté nous tendit les bras, en criant : « Venez, malheureuses femmes, venez en voir une encore plus malheureuse que vous, puisque c’est elle qui fait votre malheur à toutes. Nous sommes perdus, ajouta-t-elle ; nous voilà arrivés où l’on nous a menés depuis trois ans par tous les outrages possibles ; nous succomberons dans cette horrible révolution ; bien d’autres périront après nous. Tout le monde a contribué à notre perte ; les novateurs comme des fous, d’autres comme des ambitieux pour servir leur fortune, car le plus forcené des jacobins voulait de l’or et des places, et la foule attend le pillage. Il n’y a pas un patriote dans toute cette infâme horde ; le parti des émigrés avait ses brigues et ses projets ; les étrangers voulaient profiter des dissensions de la France : tout le monde a sa part dans nos malheurs. »

Le dauphin entra avec Madame et madame la marquise de Tourzel. La reine me dit en les voyant : « Pauvres enfans ! qu’il est cruel de ne pas leur transmettre un si bel héritage, et de dire : Il finit avec nous ! » Ensuite elle me parla des Tuileries,