Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/286

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donner des secours, ou ma banqueroute aura bientôt tout dévoilé. »

On peut aisément se peindre ce que la reine eut à souffrir. À la sortie de Bœhmer, je la trouvai dans un état alarmant ; l’idée que l’on avait pu croire qu’un homme tel que le cardinal avait sa confiance intime ; qu’elle s’était servie de lui vis-à-vis d’un marchand pour se procurer, à l’insu du roi, une chose qu’elle avait refusée du roi lui-même, la mettait au désespoir. Elle demanda successivement l’abbé de Vermond et le baron de Breteuil. Leur haine pour le cardinal, le mépris qu’ils lui portaient, leur firent trop oublier que les vices les plus bas n’empêchent pas les premiers ordres de l’empire d’être défendus par ceux auxquels ils ont l’honneur d’appartenir ; qu’un Rohan, un prince de l’Église, quelque coupable qu’il fût, aurait un parti considérable auquel devaient naturellement se rallier tous les mécontens de la cour et les frondeurs de Paris.

On crut trop facilement qu’il serait dépouillé de tous les avantages de son rang et de son ordre, pour être livré à la honte de sa conduite déréglée : on se trompa.

Je vis la reine après la sortie du baron et de l’abbé ; elle me fit frémir par son agitation. « Il faut, disait-elle, que les vices hideux soient démasqués ; quand la pourpre romaine et le titre de prince ne cachent qu’un besogneux, un escroc, qui ose compromettre l’épouse de son souverain, il faut que la France entière et que l’Europe le