Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/346

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firent, sur l’ame noble et compatissante du cardinal de Rohan, la plus profonde sensation ; c’eût été pour lui un bonheur de la placer au niveau de ses aïeux ; mais les finances du roi ne permettant pas des largesses proportionnées à un si beau nom, il ne put lui procurer que de légers secours pour l’arracher aux besoins du moment. Cette femme adroite et insinuante jugea bientôt l’ame de son bienfaiteur susceptible de plus fortes impressions qu’elle pouvait y faire naître. La reconnaissance et des besoins renaissans renouvelaient ses visites et ses entretiens. Elle s’aperçut que sa présence inspirait un grand intérêt au cardinal qui suivait l’impulsion de sa sensibilité. Son Éminence lui conseilla de s’adresser directement à la reine, présumant que cette princesse généreuse, frappée du contraste qui existait entre sa fortune actuelle et sa naissance, trouverait sans doute les moyens de l’arracher à sa trop pénible situation. Le cardinal, en lui avouant qu’il ne pouvait lui procurer une entrevue avec la reine, porta dans différens entretiens qui se succédèrent l’excès de la confiance, « jusqu’à lui peindre le chagrin profond qu’il éprouvait d’avoir encouru la haine de la souveraine ; c’était, disait-il, pour son cœur une amertume habituelle qui empoisonnait ses plus beaux jours. » Une pareille confidence devint l’infernale étincelle qui causa le plus désastreux incendie. Cette confidence fit éclore un plan de séduction dont les annales des sottises humaines offrent bien peu d’exemples. Voici l’esquisse de ce plan : madame de Lamotte entreprit de persuader au cardinal qu’elle était parvenue à s’immiscer dans l’intime familiarité de la reine ; que, pénétrée des rares qualités qu’elle avait découvertes dans l’ame du grand-aumônier, elle en avait parlé à cette princesse si souvent et avec tant d’effusion, qu’elle avait dissipé successivement ses préventions, et fait renaître en elle le désir de rendre ses bonnes grâces au cardinal ; que ses insinuations avaient tant de succès, que Marie-Antoinette permettait au cardinal de lui adresser sa justification, et ensuite qu’elle désirait avoir avec lui une correspondance par écrit, qui serait secrète jusqu’au