Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/348

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encore avec moins de retenue l’esprit du cardinal vers les choses extraordinaires. Je ne sais quel monstre, ennemi du bonheur des ames honnêtes, avait vomi sur nos contrées un empirique enthousiaste, nouvel apôtre de la religion naturelle, qui s’emparait despotiquement de ses prosélytes et les asservissait…

» Des guérisons subites de maladies jugées mortelles et incurables, opérées en Suisse et à Strasbourg, portaient le nom de Cagliostro de bouche en bouche, et le faisaient passer pour un médecin véritablement miraculeux. Ses attentions pour les pauvres, ses dédains pour les grands, donnaient à son caractère une teinte de supériorité et d’intérêt qui excitait l’enthousiasme. Ceux qu’il voulait bien honorer de sa familiarité ne sortaient d’auprès de lui qu’en publiant avec délire ses éminentes qualités. Le cardinal de Rohan se trouvait dans la résidence de Saverne, quand le comte de Cagliostro étonnait ainsi Strasbourg et la Suisse par sa conduite et les guérisons qu’il opérait. Curieux de connaître un homme aussi extraordinaire, ce prince vint à Strasbourg : il fallut négocier pour être admis auprès du comte. «  Si M. le cardinal est malade, disait-il, qu’il vienne, et je le guérirai ; s’il se porte bien, il n’a pas besoin de moi, ni moi de lui. » Une pareille réponse, bien loin d’offenser l’amour-propre du prince, ne fit au contraire qu’exciter l’envie qu’il avait de le connaître. Admis enfin dans le sanctuaire de ce nouvel Esculape, il vit, comme il l’a raconté depuis, sur la physionomie de cet homme si peu communicatif une dignité si imposante, qu’il se sentit pénétré d’un religieux saisissement, et que le respect commanda ses premières paroles. Cet entretien, qui fut assez court, excita plus vivement que jamais le désir d’une connaissance plus particulière. Il y parvint enfin, et le rusé empirique gradua si bien sa conduite et ses propos, qu’il parvint lui-même, sans avoir l’air de le chercher, à la confiance la plus intime du cardinal, et au plus grand ascendant sur sa volonté. « Votre ame, dit-il un jour à ce prince, est digne de la mienne, et vous méritez d’être le confident de tous mes secrets. » Cet aveu captiva