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ce qui lui donnait un air singulier et le faisait ressembler tout-à-fait à un charlatan. « Qui êtes-vous ? d’où venez-vous ? lui demanda-t-on. — Noble voyageur, répondit-il. » — À ces mots, les visages se déridèrent, et voyant cette bonne disposition, l’accusé entama hardiment sa défense : il entremêla son jargon de grec, d’arabe, de latin, d’italien : son air, ses gestes, sa vivacité amusèrent autant que ses discours. Il se retira fort content d’avoir fait sourire ses juges.

» Le prince Louis de Rohan eut quelquefois la permission de se promener les après-dînées sur la plate-forme des tours de la Bastille, accompagné d’un officier. Il était en redingote brune, en chapeau rond et rabattu.

» Le parlement lança un décret de prise de corps contre le cardinal et les autres accusés. L’escroquerie du collier ne fut pas le motif qui détermina à rendre ce décret contre M. de Rohan, mais la supposition de la signature de la reine. Les personnes au fait en conclurent que, dès qu’une fois le véritable auteur de cette supposition serait reconnu, toute la rigueur du jugement retomberait sur lui. Le 21 décembre, on signifia au cardinal dans la Bastille ce décret plus effrayant pour lui que réellement redoutable. Il en fut tellement affecté, qu’il eut un redoublement de colique néphrétique à laquelle il était sujet.

» Les interrogatoires et confrontations furent poussés avec chaleur. Le rapporteur, conseiller au parlement[1], se rendit à cet effet au château de la Bastille. Il tint un jour M. le cardinal depuis neuf heures du matin jusqu’à une heure, et depuis quatre heures du soir jusqu’à minuit. Il faut rendre compte de l’étiquette observée par le prince Louis de Rohan, et de celle qui avait lieu vis-à-vis de lui dans ces jours de séances. Au jour indiqué, il s’habillait en cérémonie, mettait sa calotte rouge, ses bas rouges, tous les attributs de ses dignités. Le gouverneur de la Bastille venait le prendre dans son appartement, le con-

  1. M. Dupuis de Marcé.