Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/51

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son palais ; les députés s’empressèrent de le suivre, et formèrent son cortége et celui des princes qui l’accompagnaient. La fureur du peuple s’adressait directement au comte d’Artois, dont l’opinion contre la double représentation paraissait un crime odieux. On cria plusieurs fois : Vive le roi, en dépit de vous, Monseigneur, et de vos opinions. Une femme osa s’approcher de Sa Majesté, et lui demander si ce qu’elle venait de faire était bien sincère, et si on ne le ferait pas changer.

Les cours du château étaient garnies d’une foule immense ; on demanda que le roi, la reine et ses enfans parussent sur le balcon. La reine me remit la clef des portes intérieures qui conduisaient chez M. le dauphin, et m’ordonna d’aller trouver la duchesse de Polignac, de lui dire qu’elle demandait son fils, et m’avait chargée de le conduire moi-même dans ses cabinets où elle l’attendait pour le montrer au peuple. La duchesse me dit que cet ordre lui annonçait qu’elle ne devait pas accompagner le prince. Je ne répondis rien ; elle me serra la main, en me disant : « Ah ! madame Campan, quel coup je reçois ! » Elle embrassa l’enfant en pleurant, et me donna une semblable marque d’attachement. Elle savait combien j’aimais, combien j’estimais la bonté et la noble simplicité de son caractère ! Je voulus la rassurer en lui disant que j’allais ramener le prince ; mais elle persista, disant qu’elle entendait cet ordre et savait ce qu’il lui annonçait. Alors, son mouchoir sur les yeux, elle rentra dans son