Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/143

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daient plus aux idées. C’était une sorte de fête travestie consacrée à M. de Chateaubriand, car pour le porter au pouvoir, on y aurait au besoin dressé des barricades contre la monarchie, en les surmontant du drapeau blanc.

Le comte Mole venait assez souvent, le matin, causer chez sa tante ; je l’avais déjà entrevu quelquefois, passant comme une ombre, dans le salon très-mondain de madame de la Briche, sa belle-mère, salon qui n’avait, disait-on, été fermé depuis quarante ans que le dimanche 20 janvier 1793 ! De tous les hommes considérables dont me séparaient mon âge et mon obscurité, M. Mole était celui pour lequel je ressentais le plus vif attrait. Type accompli de la grande compagnie française par l’élégance de ses manières et la correction de son langage, l’ancien ministre de Napoléon, en conservant les doctrines politiques de l’empire, les avait saupoudrées d’idées nouvelles, badigeonnage opéré avec tant d’art qu’il trompait l’œil le plus exercé. Dans ce cercle assez restreint de causeurs, se montrait quelquefois M. Pasquier, l’ami politique et le conseil de M. le duc de Richelieu. Ce n’était pas encore le vieux chancelier, membre et dictateur de l’Académie française, terreur ou providence des candidats ; mais c’était déjà l’homme d’État fatigué, dont le grand sens politique tenait les fautes commises pour irréparables, et dont la verve amère s’exerçait sans pitié sur les hommes et sur les choses de son temps. On y rencontrait plus fréquemment M. de Barante, homme politique, homme de lettres et homme