Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/144

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du monde, qui trouvait du temps pour tout, et dont l’esprit ne semblait jamais épuisé avec quelque abondance qu’il se dépensât.

La présence des notabilités politiques dans son salon était pour madame d’Aguesseau la dernière joie de sa vieillesse. Un jour, elle nous annonça avec une dignité étudiée qu’elle attendait dans une heure M. Royer-Collard, le président de la Chambre ayant agréé la pensée de paraître chez la descendante de ces grands magistrats, pour lesquels il semblait réserver l’admiration dont il se montrait fort sobre vis-à-vis de ses contemporains. À l’heure du lever de la séance, un profond silence s’établit dans l’attente de l’homme illustre qu’on était heureux et fier de rencontrer. Mais l’intermédiaire ne tarda pas à se présenter seul, en déclarant, non sans embarras, que M. Royer-Collard ne viendrait point. Sommé de donner quelque explication, il finit par confesser que le président paraissait avoir changé d’avis, « les nouvelles connaissances lui étant aussi antipathiques que les livres nouveaux. » Atteinte au plus vif de son amour-propre, madame d’Aguesseau imagina de se venger l’hiver suivant en racontant que M. Royer-Collard ayant été, quelques semaines après la révolution de Juillet, engagé à dîner chez le roi Louis-Philippe, aurait renvoyé l’invitation à l’aide de camp de service en s’excusant sur ce « qu’il ne dînait jamais en ville. »

Derrière les hommes importants qui fréquentaient le salon de la rue Saint-Dominique, se groupaient des députés de la droite qui, ayant échappé à leur centre de