Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/155

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sonne ne pressentait les tristes temps où la langue des clubs viendrait colorer de teintes ardentes les froids théorèmes du chef de l’école.

Il en était tout autrement de l’Organisateur, organe des disciples de M. de Saint-Simon. Cet étrange personnage était mort tout récemment, en donnant à ceux-ci le mandat de divulguer et de répandre sa doctrine. L’école saint-simonienne se préoccupait autant du succès que l’école positiviste affectait de le dédaigner, l’une étant aussi pressée d’appliquer ses idées que l’autre paraissait y peu tenir. Jeune et ambitieuse, elle avait le verbe haut, les allures originales et la couleur des plus voyantes ; tout y était calculé pour l’effet ; et ce fut en devançant les fondateurs attitrés de la réclame qu’elle prit très-promptement, par l’habileté de la mise en scène, une importance que ne comportait pas la pauvreté de ses doctrines.

Celles-ci reposaient, comme les théories de M. Comte, sur l’idée de Condorcet. Toutes les vues historiques du saint-simonisme venaient se résumer dans une distinction plus spécieuse que solide entre les époques organiques et les époques critiques se succédant l’une à l’autre dans l’histoire de tous les peuples, et devenant à chaque évolution nouvelle le gage certain d’un progrès nouveau. Pour fonder sa philosophie de l’histoire, l’école de Saint-Simon ne s’était pas mise en frais d’invention, car chacun des écrivains du dernier siècle lui avait fourni une page. Elle admettait un état embryonnaire dont l’homme s’est lentement dégagé par la puissance d’énergies natives, laissant d’ailleurs gé-