Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orageuse de ses débuts, le saint-simonisme ne menait encore ni au Conseil d’État, ni au Sénat, ni à la fortune ; il imposait à ses jeunes sectateurs, pour la plupart hommes de talent, des épreuves pénibles et parfois les plus amères humiliations. Les seuls bancs sur lesquels ils s’assirent alors furent ceux de la police correctionnelle, et aux carrières de Ménilmontant nul ne rêvait assurément les honneurs du Luxembourg. Les faubouriens poursuivaient la tunique bleue du saint-simonien de plus d’injures que la robe du prêtre catholique. Il fallait qu’une portion de la jeunesse, déshéritée de toute tradition religieuse, eût vraiment soif de la vérité, pour qu’un pareil mirage pût tromper l’impatiente ardeur de ses désirs. C’est afin de correspondre à ce besoin de croire et d’aimer, indestructible comme l’âme humaine, que les organisateurs de l’Église saint-simonienne déployèrent une habileté à laquelle il faut savoir rendre justice. Ils élevèrent un temple avant d’avoir découvert leur dieu ; ils fondèrent tout un culte extérieur et tout une hiérarchie où ne manquaient ni prêtres ni lévites ; ils organisèrent leurs néophytes au moyen d’une forte discipline, en attendant la proclamation, chaque jour promise et toujours différée, de ce qu’on appelait solennellement le dogme nouveau ; ils firent enfin des sectaires, faute de pouvoir faire des croyants, et la plupart de ces messieurs ne devinrent millionnaires qu’après avoir vainement tenté de se faire apôtres.

À ces travaux d’Auguste Comte, de Saint-Simon et de Fourier, aux prophéties des philosophes conviant