Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/43

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romancier. À trente ans, il commença par imiter Sterne, pour finir, à soixante, par imiter Walter Scott. L’originalité, qui manquait à cet écrivain dans les lettres, ne lui fut pas refusée dans les sciences. Les Inductions morales et physiologiques révèlent un penseur dont la chaude éloquence est parfois déparée par des traits d’un goût équivoque.

Repoussé par sa caste, comme on disait alors, il rechercha, sous la Restauration, la faveur et les votes de la bourgeoisie censitaire, et fut nommé à Brest. M. de Trézurin avait interdit l’accès de sa maison au nouveau député, qu’il nommait son neveu le renégat ; et mes relations avec un parent qui me continuait à Paris les bontés auxquelles il m’avait accoutumé depuis ma première enfance irritaient fort mon grand-oncle, si parfaitement coulant sur tout le reste. Lorsque, par son entremise, j’avais obtenu un billet pour la Chambre, et qu’il m’arrivait de n’être pas rentré à l’heure du dîner, j’étais accueilli par les sarcasmes les plus amers. M. de Trézurin déclarait ne pouvoir comprendre l’intérêt qu’un jeune homme bien élevé paraissait prendre à l’indécent pugilat où, de par la charte, qu’il appelait en minaudant la chatte du roi, on obligeait les ministres à venir se colleter avec des avocats pour les menus plaisirs de la galerie. Ces institutions lui étaient surtout antipathiques parce qu’elles lui paraissaient incompatibles avec le véritable esprit français qu’il ne leur pardonnait pas d’avoir atteint à ses sources, en faisant d’un peuple aimable et poli un peuple d’ergoteurs et de pédants.