Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/60

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tique, une vivante image d’elle-même, l’homme du dix-neuvième siècle, remué dans tout son être par des problèmes nouveaux et des inconnues formidables, laissa déborder du plus profond de son cœur des sources de poésie jusqu’alors ignorées. Ni les strophes solennelles de J.-B. Rousseau, ni les élégantes bucoliques de l’abbé Delille ne suffisaient plus à l’expression de tant de souffrances, à la divulgation de tant d’anxiétés. Le vague des passions n’est pas, comme a semblé le dire M. de Chateaubriand, la conséquence nécessaire de la pensée chrétienne appliquée aux sentiments intimes de l’homme ; c’est l’effet douloureux de la lutte engagée entre la raison, dont l’insuffisance le glace d’effroi, et la religion, où la lumière ne se révèle qu’à travers les ombres. Lorsque commença, sous le drapeau du romantisme, arboré pas madame de Staël, l’ardente lutte pour laquelle se passionna ma jeunesse, la maladie de René était celle de presque toute la génération qui cherchait laborieusement sa voie dans la politique et dans les lettres.

De cette disposition d’esprit sortit la haute inspiration lyrique demeurée l’honneur de l’école nouvelle. Les plaintes que, sur les grèves de l’océan, René faisait monter vers le ciel, mêlées aux murmures d’une mer moins orageuse que son âme, se retrouvaient adoucies et comme apaisées dans les chants que modulait sur sa harpe d’or l’auteur des Harmonies. C’était le même mal, arrivé à son plus haut paroxysme chez le premier, et remplacé, chez le second, par une sorte