Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/61

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de convalescence mal affermie. La note religieuse, qui vibre dans les odes de Victor Hugo tout aussi bien que dans les vers de Lamartine, cette note grave et mystique qu’on retrouve jusque dans les premières poésies de M. Sainte-Beuve, était alors la tonique dominante dans toute la poésie lyrique, tant elle se dégageait naturellement de ce concert douloureux. Les éternels problèmes soulevés par les mystères de la vie humaine poursuivaient jusqu’aux intelligences les plus rebelles à la foi, à ce point qu’on vit bientôt de hardis jeunes gens, nés et nourris dans l’incrédulité, rompre avec les traditions sceptiques du dernier siècle, et gravir, à Ménilmontant, en se déclarant apôtres d’une foi nouvelle, le calvaire du ridicule.

On ne saurait comprendre aujourd’hui l’ardente sincérité de ces controverses. Les passions littéraires n’étaient guère moins vives que les passions politiques et procédaient de la même façon. La littérature avait ses ultras comme ses jacobins, les uns voulant tout conserver, les autres tout détruire ; les premiers croyant au droit des trois unités comme à la légitimité monarchique, les seconds aspirant à refaire la langue française en en brisant le moule pour la punir de s’être laissé asservir depuis la Renaissance. Appliquées à la politique contemporaine, ces habitudes d’esprit conduisaient aux plus bouffonnes conséquences. Si, dans les salons de la rive gauche, on considérait le duc Decazes comme en conspiration permanente contre la royauté, à laquelle il devait tout, chez les vieux universitaires, Shakespeare, Gœthe et Byron étaient aussi