Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/71

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qui voulait bien m’ouvrir une carrière conforme à mes goûts, m’inspirait une reconnaissance plus respectueuse que sympathique. Son extérieur était des moins attrayants. Élevé en Russie, ayant passé sa vie dans le nord de l’Europe, il avait la roideur militaire de ces officiers brandebourgeois qui semblent, selon le mot de Heine, avoir avalé leur canne. Ayant peu vécu en France, il professait de la meilleure foi du monde le plus complet dédain pour toutes les choses qu’il ignorait. L’obéissance passive, qu’il avait prescrite et pratiquée longtemps, lui paraissait aussi naturelle dans le gouvernement des peuples que dans le commandement des armées. Il unissait à une sorte d’engouement pour tous les progrès dans l’ordre matériel, le plus parfait mépris pour tout le mécanisme constitutionnel, dont il se trouvait former l’un des plus importants rouages, M. de Villèle ayant eu l’étrange pensée de faire du plus terne des hommes politiques le successeur de M. de Chateaubriand. M. de Damas n’était en aucune façon le ministre dont la pieuse ignorance défrayait chaque matin la petite presse de ce temps-là, et dont les auteurs de la Villéliade disaient :

Toutes les affaires
Pour lui sont étrangères.
Hormis l’affaire du salut.

De l’Europe continentale, il n’ignorait guère que la France, sérieuse lacune dans l’éducation d’un ministre. C’était d’ailleurs un grand cœur de chrétien et un excellent militaire. En voyant combien chez lui les formes compromettaient le fond, et combien cette gourme