Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/70

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horrible, le duc de Rohan était entré, jeune encore, dans les ordres sacrés, sans que cette résolution, dont le monde s’occupa beaucoup, fût généralement considérée comme l’effet du déchirement de son cœur.

C’était une nature calme, qui semblait prédestinée au service des autels. Entendre chanter les louanges du Seigneur, en respirant le parfum de l’encens ; contempler, en s’y mêlant, l’ordre pompeux des cérémonies religieuses : pour lui, ces joies sereines semblaient suffire. Irréprochable dans l’accomplissement de tous ses devoirs, il n’avait guère que l’ambition d’un maître des cérémonies. L’idéal du bonheur en ce monde aurait consisté à ses yeux à diriger sous la pourpre cardinalice les solennités de Saint-Pierre. La mise en scène exerçait sur l’abbé de Rohan une fascination irrésistible. Il jouait à la chapelle dans sa terre de la Roche-Guyon, où il voulut bien me recevoir quelquefois, et les beaux spectacles qu’il y étalait avec l’entente d’un impresario italien étaient comme le fond même de sa vie. L’on se souvient encore à Besançon d’un dîner donné par le jeune archevêque de cette ville, au retour de son voyage ad limina, dîner durant lequel une description interminable des pompes de la chapelle Sixtine fut interrompue par l’impatience d’un bon curé franc-comtois s’écriant tout à coup du bas de la table : « Ah ! Monseigneur, combien il faudrait de ces belles choses-là pour sauver une âme ! »

Lorsque je fus admis, sous ce noble patronage, dans le cabinet du baron de Damas, j’éprouvai un sentiment de satisfaction mêlé de quelque inquiétude. Le ministre