Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/235

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PAUVRES FLEURS (1 221 toujours fermée, un noble pied de chevreuil, en signe de la richesse qui rendait cette maison saillante et enviée entre toutes. "L’aïeul opulent avait aussi, dès l’aurore, départi ses vêtements à Ferdinand Duhein, qui les portait avec une joie pareille à celle d’Agnès. Il était, à cette heure, décoré d’une tabatière d’argent finement ciselée, d’un chapeau à trois cornes, dont son grand-père conservait précieusement l’usage. Ce grand-père, puisqu’il faut l’avouer, malgré notre sympathie pour Ferdinand, passait dans la paroisse pour un Harpagon, bien qu’il fût propriétaire de la moitié des maisons de la rue natale d’Agnès. Ferdinand, qui avait en vain crié bonjour à la petite voisine, ennuyé de n’en être point aperçu, venait s’offrir à son admiration. Agnès aimait Ferdinand qui n’était point fier et qui avait joué maintes fois aux osselets avec elle ; l’innocente lui avait rendu de loin son bonjour par un signe de tête ; mais sa voix n’eût osé prendre l’essor vers la maison d’où sortaient tous les chagrins de ses parents, cette maison dont le maître s’armait de tant de rigueur contre son père qu’elle aimait comme on aime Dieu. Les mots saisie, prison, prononcés tout à l’heure à voix basse dans sa famille, laissaient l’empreinte de la tris- tesse sur son petit visage amical. " Ferdinand, trop loin pour causer comme il en avait envie, sans s’inquiéter de la dignité que lui imposaient ses habits de velours, avait enfin franchi la haute rampe et la rue, pour venir se planter devant Agnès. Ils s’examinèrent d’abord sérieusement et se trouvèrent bien. Le monde était si nouveau devant ces deux cœurs d’anges, qu’ils sentaient à peine le souffle piquant de décembre ; ils semblaient être encore dans les frais jardins du paradis ouverts à leurs regards enchantés. Ferdinand s’approcha du visage d’Agnès. Pressé de deviner au parfum ce qu’elle avait mangé, il respira curieusement sa bouche rose. Agnès qui n’en faisait pas mystère, dit : Que sentez-vous ? "Comme un fruit, répliqua-t-il. Et elle lui dit oui, de la tête, avec un petit sourire. -Qu’as-tu commandé depuis ce matin ? continua Ferdi- nand, en train de parler sans attendre la réponse. Moi, j’ai